Éditions enrichies :
-Introduction et conclusion
-Biographie détaillée et bibliographie de l'auteur
-Contexte Historique
-Notes
Extrait Mauprat :
NOTICE
Quand j’écrivis le roman de Mauprat à Nohant, en 1846, je crois, je venais de plaider en séparation. Le mariage, dont, jusque-là, j’avais combattu les abus, laissant peut-être croire, faute d’avoir suffisamment développé ma pensée, que j’en méconnaissais l’essence, m’apparaissait précisément dans toute la beauté morale de son principe.
À quelque chose malheur est bon, pour qui sait réfléchir : plus je venais de voir combien il est pénible et douloureux d’avoir à rompre de tels liens, plus je sentais que ce qui manque au mariage, ce sont des éléments de bonheur et d’équité d’un ordre trop élevé pour que la société actuelle s’en préoccupe. La société s’efforce, au contraire, de rabaisser cette institution sacrée, en l’assimilant à un contrat d’intérêts matériels ; elle l’attaque de tous les côtés à la fois, par l’esprit de ses mœurs, par ses préjugés, par son incrédulité hypocrite.
Tout en faisant un roman, pour m’occuper et me distraire, la pensée me vint de peindre un amour exclusif, éternel, avant, pendant et après le mariage. Je fis donc le héros de mon livre proclamant, à quatre-vinqts ans, sa fidélité pour la seule femme qu’il eût aimée.
L’idéal de l’amour est certainement la fidélité éternelle. Les lois morales et religieuses ont voulu consacrer cet idéal ; les faits matériels le troublent, les lois civiles sont faites de manière à le rendre souvent impossible ou illusoire ; mais ce n’est pas ici le lieu de le prouver. Le roman de Mauprat n’a pas été alourdi par cette préoccupation ; seulement, le sentiment qui me pénétrait particulièrement à l’époque où je l’écrivis se résume dans ces paroles de Mauprat vers la fin de l’ouvrage : « Elle fut la seule femme que j’aimai dans toute ma vie ; Jamais aucune autre n’attira mon regard et ne connut l’étreinte de ma main. »
George Sand.
5 juin 1851.
À GUSTAVE PAPET
Quoique la mode proscrive peut-être l’usage patriarcal des dédicaces, je te prie, frère et ami, d’accepter celle d’un conte qui n’est pas nouveau pour toi. Je l’ai recueilli en partie dans les chaumières de notre vallée Noire. Puissions-nous vivre et mourir là, en redisant chaque soir notre invocation chérie :
Sancta simplicitas !
George Sand.
Introduction
Sur les confins de la Marche et du Berry, dans le pays qu’on appelle la Varenne, et qui n’est qu’une vaste lande coupée de bois de chênes et de châtaigniers, on trouve, au plus fourré et au plus désert de la contrée, un petit château en ruine, tapi dans un ravin, et dont on ne découvre les tourelles ébréchées qu’à environ cent pas de la herse principale. Les arbres séculaires qui l’entourent et les roches éparses qui le dominent l’ensevelissent dans une perpétuelle obscurité, et c’est tout au plus si, en plein midi, on peut franchir le sentier abandonné qui y mène, sans se heurter contre les troncs noueux et les décombres qui l’obstruent à chaque pas. Ce sombre ravin et ce triste castel, c’est la Roche-Mauprat.
Il n’y a pas longtemps que le dernier des Mauprat, à qui cette propriété tomba en héritage, en fit enlever la toiture et vendre tous les bois de charpente ; puis, comme s’il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord, fendre du haut en bas le mur d’enceinte, et partit avec ses ouvriers, secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards, aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs passent dans la journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat
-Introduction et conclusion
-Biographie détaillée et bibliographie de l'auteur
-Contexte Historique
-Notes
Extrait Mauprat :
NOTICE
Quand j’écrivis le roman de Mauprat à Nohant, en 1846, je crois, je venais de plaider en séparation. Le mariage, dont, jusque-là, j’avais combattu les abus, laissant peut-être croire, faute d’avoir suffisamment développé ma pensée, que j’en méconnaissais l’essence, m’apparaissait précisément dans toute la beauté morale de son principe.
À quelque chose malheur est bon, pour qui sait réfléchir : plus je venais de voir combien il est pénible et douloureux d’avoir à rompre de tels liens, plus je sentais que ce qui manque au mariage, ce sont des éléments de bonheur et d’équité d’un ordre trop élevé pour que la société actuelle s’en préoccupe. La société s’efforce, au contraire, de rabaisser cette institution sacrée, en l’assimilant à un contrat d’intérêts matériels ; elle l’attaque de tous les côtés à la fois, par l’esprit de ses mœurs, par ses préjugés, par son incrédulité hypocrite.
Tout en faisant un roman, pour m’occuper et me distraire, la pensée me vint de peindre un amour exclusif, éternel, avant, pendant et après le mariage. Je fis donc le héros de mon livre proclamant, à quatre-vinqts ans, sa fidélité pour la seule femme qu’il eût aimée.
L’idéal de l’amour est certainement la fidélité éternelle. Les lois morales et religieuses ont voulu consacrer cet idéal ; les faits matériels le troublent, les lois civiles sont faites de manière à le rendre souvent impossible ou illusoire ; mais ce n’est pas ici le lieu de le prouver. Le roman de Mauprat n’a pas été alourdi par cette préoccupation ; seulement, le sentiment qui me pénétrait particulièrement à l’époque où je l’écrivis se résume dans ces paroles de Mauprat vers la fin de l’ouvrage : « Elle fut la seule femme que j’aimai dans toute ma vie ; Jamais aucune autre n’attira mon regard et ne connut l’étreinte de ma main. »
George Sand.
5 juin 1851.
À GUSTAVE PAPET
Quoique la mode proscrive peut-être l’usage patriarcal des dédicaces, je te prie, frère et ami, d’accepter celle d’un conte qui n’est pas nouveau pour toi. Je l’ai recueilli en partie dans les chaumières de notre vallée Noire. Puissions-nous vivre et mourir là, en redisant chaque soir notre invocation chérie :
Sancta simplicitas !
George Sand.
Introduction
Sur les confins de la Marche et du Berry, dans le pays qu’on appelle la Varenne, et qui n’est qu’une vaste lande coupée de bois de chênes et de châtaigniers, on trouve, au plus fourré et au plus désert de la contrée, un petit château en ruine, tapi dans un ravin, et dont on ne découvre les tourelles ébréchées qu’à environ cent pas de la herse principale. Les arbres séculaires qui l’entourent et les roches éparses qui le dominent l’ensevelissent dans une perpétuelle obscurité, et c’est tout au plus si, en plein midi, on peut franchir le sentier abandonné qui y mène, sans se heurter contre les troncs noueux et les décombres qui l’obstruent à chaque pas. Ce sombre ravin et ce triste castel, c’est la Roche-Mauprat.
Il n’y a pas longtemps que le dernier des Mauprat, à qui cette propriété tomba en héritage, en fit enlever la toiture et vendre tous les bois de charpente ; puis, comme s’il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord, fendre du haut en bas le mur d’enceinte, et partit avec ses ouvriers, secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards, aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs passent dans la journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat